La gamine dévalait les rues à une vitesse folle. Son cœur battait la chamade, si fort dans sa poitrine, qu'elle avait l'impression qu'il pouvait se faire la malle à tout moment. Mais même si son souffle froid lui tranchait la trachée, elle n'aurait cesser de courir pour rien au monde. Elle était beaucoup trop pressée, beaucoup trop heureuse. Il fallait qu'elle voit son père. Deux mois qu'elle ne l'avait pas vu. Deux longs mois et il lui manquait atrocement. Bien sûr, sa vieille voisine l'avait gardé et la brunette avait beau adorer cette femme, elle ne pouvait être comparée à son père. Une fois arrivée devant les grandes et majestueuses grilles, la gamine ne prit même pas la peine de faire savoir sa présence et les escalada agilement. De toute façon, elle connaissait cet endroit comme sa poche et c'était loin d'être la première fois qu'elle faisait ce genre de choses. Elle courait dans la grande et unique allée, sous les regards amusés des artistes. Cette gamine avait grandi ici, pour peu qu'elle y était née. Tout le monde la connaissait et cet endroit était son royaume... Elle était la princesse des lieux. Elle contourna alors quelques caravanes, ses longs cheveux bruns flottant derrière elle et arriva rapidement à l'endroit tant voulu. Elle entra sous le chapiteau et dévala les estrades. Là, une grille se présenta devant elle. C'est le regard pétillant que la gamine s'approcha, son rythme coupé par tant d'émotions. Son père était à l'intérieur des grilles, agenouillé devant une féroce bête.
« - Approches ma Lee ! »... Il avait perçu sa présence sans même lever le regard de ses animaux. La gamine se mit à sourire, seul son paternel l'appelant par son deuxième prénom. Sa voix, sa présence, ses cheveux grisonnant... il lui avait tant manqué ! Elle s'exécuta alors, ouvrant doucement la petite porte de la grille, avant de la refermer derrière elle.
« - Doucement mon ange... ». Elle ralentit alors le pas, sachant très bien que la moindre erreur pouvait lui être fatale. Il était rare qu'elle entre dans la cage des tigres, mais cette fois-ci, elle avait tellement hâte de voir son père, de le sentir contre elle qu'elle avait pris les devants. Elle fit un pas, deux pas et enfin un troisième avant que l'une des majestueuses bêtes ne s'approche d'elle... La gamine se stoppa immédiatement, ne sachant quoi faire, impressionnée par tant de grandeur et de puissance. Elle sentit alors rapidement son père s'approcher et lui attraper la main, dans une douceur extrême, pour que ses petits doigts d'enfant viennent caresser le museau de l'animal.
« - N'aies pas peur... c'est Luna, elle est adorable... »... Et c'est à partir de ce moment là que Poppy Lee Weaver comprit que plus tard, elle ferait la même chose que son père : elle dompterait des tigres dans ce Cirque qui avait bercé son enfance...
C'était l'heure de nourrir les animaux. Poppy n'aimait pas particulièrement ça. Pourquoi ? Parce que dans ces moments là, elle se rendait compte combien les tigres dont elle s'occupait jours après jours pouvaient être des animaux féroces et destructeurs... mais ils étaient sa vie désormais. Du haut de ses quinze petites années, Poppy se surprenait parfois à penser que si sa vie était celle une adolescente normale, tout serait plus simple. Mais le problème, c'était qu'elle n'avait jamais été normale, même avant de se lancer dans l'élevage. A l'école, elle n'avait pas beaucoup d'amis. Elle avait de bonnes notes, mais il lui arrivait souvent de ne pas aller en cours. Pour elle, l'école n'était que secondaire. La priorité dans sa vie était l'élevage des tigres. Son père s'évertuait jours après jours à enseigner à sa fille l'art de dompter les animaux les plus féroces de la savane et il fallait dire que l'adolescente apprenait vite, très vite. Il faut dire qu'elle avait un sacré caractère. Sous ce physique de petite fille parfaite se cachait une vraie tigresse qui ne se laissait pas impressionner par ces grosses bêtes. Mais elle les aimait. Elle aimait ces tigres plus que certains êtres humains. Il était rare qu'elle ne passe pas les voir pendant une journée entière, les tigres étaient devenus sa vie, ses meilleurs amis. Et puis tout cela lui permettait de passer du temps avec son merveilleux père et ce n'était pas un détail insignifiant. Ce jour là, elle s'était approchée de la réserve où vivait les tigres afin de leur donner les morceaux de viande qui leur feraient offices de repas. Une fois cela fait, elle s'installa non loin des grilles, observant avec attention ses très chers animaux se jeter sur la viande... Parfois elle en venait à oublier que ce n'était que des animaux, que si durant un spectacle elle perdait le contrôle, ne serait qu'une seule seconde, elle pouvait finir dans le ventre d'une des bêtes. C'était un métier à risque, mais son père était là pour la protéger, il avait toujours été là. Elle sentit alors une présence à ses côtés et rapidement elle tourna la tête pour poser son regard sur un visage totalement inconnu... C'était un garçon d'à peu près son âge. Ce qui la frappa le plus, fut ce profond regard noir qui traduisait toute la candeur et l’innocence dont ce garçon pouvait faire preuve. Il ignora les regards de la demoiselle avant que cette dernière ne prenne la parole :
« - Euh... t'es qui ? ». Pas très subtile, mais Poppy n'avait jamais été très fine dans ses paroles. Le gamin sembla surpris par cette question. Il tourna la tête observant à son tours l'adolescente. Un long silence pesant prit alors place avant qu'il n'ouvre la bouche.
« - Erwan. ». Okay, pas très bavard le jeune homme. Mais bon, Poppy était plus que bavarde, elle ferait la conversation pour deux !
« - Et... ? ». Elle voulait en savoir plus. Elle était curieuse et puis elle connaissait tout le monde ici. La troupe de ce cirque était sa famille, tous autant qu'ils étaient, elle les connaissait...
« - J'suis apprenti magicien. ». Il se leva alors sous le regard surpris de Poppy et s'éloigna sans même lui accorder un coup d’œil. Bizarre. Oui, ce garçon était bizarre. Bien plus que Poppy et étrangement, il attisa sa curiosité. Il avait quelque chose, elle n'aurait su dire quoi, qui l’intriguait. Il fallait qu'elle en sache plus... Et effectivement, quelques mois plus tard, c'était mission réussi. Erwan était un adolescent à problèmes. Il avait grandi dans un milieu misérable, s'était fait viré de son lycée et une rencontre l'avait mené à entrer dans la troupe de ce cirque. La magie avait changé sa vie. Elle lui avait redonné espoir et s'il restait plutôt silencieux, rapidement, il devint le meilleur ami de Poppy, son seul véritable ami... Celui sur qui elle pouvait compter.
Un cri. C'était un cri qui l'avait alerté. C'était un jour comme un autre. Il pleuvait à New-York et la ville était toujours aussi agitée. Dans leur petit coin de paradis, les artistes du cirque étaient comme protégés de cette agitation. Ils vivaient à New-York sans vraiment y vivre. C'était ainsi. Pourtant, en milieu de matinée, un cri strident s'était fait entendre. Poppy l'avait tout de suite reconnu... C'était celui de Marla, une trapéziste. Elle s'était alors précipitée dans le hall principal, affolée comme jamais. Que c'était-il passé ? Ils vivaient tous un métier à risque et ainsi, il y avait tellement de suppositions à faire sur ce qui avait engendré un tel cri d'effroi qu'elle en était complètement perdue. C'était un cri venu du fond du cœur, du fond des tripes. Marla était devant le chapiteau, tremblante et seule. Poppy était la première arrivée. Elle posa ses mains sur les épaules de Marla, la secouant un peu.
« - Marla, il se passe quoi ? ». Mais cette dernière fixait Poppy, incapable du moindre mot, du moindre son. L'adolescente la secoua un peu plus bien décidée à en savoir d'avantage, d'autant plus que son cœur battait de plus en plus rapidement.
« - MARLA !!!! ». La trapéziste tremblait de toutes parts et dans un souffle elle lança un :
« - Ton père... » qui affola encore plus la brunette. Cette dernière lâcha Marla avant de se précipiter sous le chapiteau. Là, l'éternelle cage était disposée, abritant les quelques tigres qu'elle élevait et... Son père. Il était allongé, à même le sol, semblant complètement inerte. Poppy se précipita à l'intérieur, ne faisant pas attention aux féroces bêtes autours d'elle. Elle se jeta sur son père, le souffle court.
« - Papa ! PAPA REVEILLES-TOI !!! ». Mais il ne bougeait pas. Elle le secoua brutalement, avant de prendre son pou. Rien. Rien du tout. Son souffle se fit alors saccader et l'affolement prit encore plus de place en sa petite personne.
« - PAPA PUTAIN REVEILLES-TOI !!! PAPA !!! ». Mais non, il était inerte, à même le sol. Les larmes commencèrent à dévaler les joues de la brunette, alors qu'elle sentait une pression autours de son ventre. Rapidement, elle se retrouva sur ses deux pieds, sentant qu'on la tirait vers l'arrière.
« - NON !!! LÂCHES-MOI !!! ». Erwan tentait de la faire sortir de la cage tant bien que mal. Mais elle refusait. Non, elle ne pouvait pas abandonner son père, son géniteur, son tout. Elle le refusait catégoriquement. Il n'était pas mort, ça n'était pas possible. Non, elle refusait de se l'admettre, c'était trop dur. Il était tout ce qu'il lui restait. Elle n'avait ni grand-parents, ni mère, ni oncle, ni tante, rien. Il y avait juste son père et elle. Et maintenant, elle se retrouvait seule, orpheline à seulement dix-sept ans. Face à la force de Erwan, elle ne pouvait rien faire et ne fois sortie de la cage, il la plaqua contre les barreaux afin de plonger son regard dans celui de la brunette.
« - Il est mort Poppy. Il est mort et tu ne peux rien y faire. ». Il était sec, froid, presque cruel... Mais il avait raison. Poppy relâcha alors tous ses muscles, avouée vaincu tandis que les autres membres du cirque arrivaient, choqués, tristes... Les larmes dévalaient les joues de Poppy sans même qu'elle ne s'en rende compte...
« - Mais... comment je vais faire Erwan ? Comment je vais survivre ? ». Son souffle était court, son cœur meurtri. A cet instant, elle avait envie de mourir, comme ça elle rejoindrait son père là-haut. Le jeune homme resserra son étreinte autours des épaules de la brunette et intensifia son regard sur elle.
« - Tu es forte, tu y survivras... et puis je suis là moi, je serais toujours là. Je te le promets. ».
Et il l'avait tenu sa promesse, au péril de sa propre vie, à cette époque. Il s'était voué corps et âmes pour que Poppy retrouve le sourire. Il avait tout fait quitte à s'user physiquement. La crise cardiaque de monsieur Weaver avait été un drame, aussi bien personnellement que professionnellement. Qu'allait devenir le cirque sans son dompteur de tigre ? Déjà que les temps étaient durs ! Mais Poppy avait été une bonne élève et il était temps pour elle de reprendre ce que lui avait laissé son père. C'était un peu un moyen de le faire perdurer à travers le temps. C'était sa façon de faire son deuil, de lui rendre hommage. Et disons que Erwan l'avait considérablement encouragé. Et puis un jour, tout s’éclaircit :
« - Pourquoi tu me regardes comme ça ? ». Il était vrai que Poppy apercevait souvent le jeune solitaire à l'observer étrangement. Ce garçon avait toujours été une énigme pour elle et ainsi, elle ne parvenait à comprendre pourquoi.
« - Je t'aime. ». Poppy en était restée stoïque. Et puis à y réfléchir, ça n'était pas si étonnant que ça. Finalement, elle s'était rendue compte que Erwan n'avait jamais été son ami, non, il était bien plus que ça, il l'avait toujours été, dès lors qu'il était entré dans sa vie. Il était son âme sœur, son tout, il l'aidait à survivre, il avait un peu pris la place de protecteur que son père avait toujours occupé dans sa vie, il lui était essentiel...