La porte claqua, résonnant une dernière fois dans la maison restée vide. J'entendais encore l'air vibrer de ma chambre. Je m'étais bouchée les oreilles pourtant. J'avais fermé les yeux fort, fort, fort, comme ma mère me l'avait conseillé. Mais je savais exactement ce qu'il venait de se passer. Je gardais en tête le souvenir des précédents éclats de mon père. Un coup de pied dans une porte, du verre brisé. Et puis les coups dont la trace marquait le visage effrayé de ma mère. L'alcool est le pire des vices. Ils vous enivre, vous annihile avant de vous posséder complètement. Je crois que je n'avais jamais vu mon père sans sa bouteille de whisky à la main. Je ne pouvais pas entièrement le blâmer, vous savez, personne ne le pouvait. Je veux dire, si on avait pas e tous ces problèmes, le cancer de ma mère, les embrouilles à l'école, peut-être que tout ce serait passé autrement. Mais maintenant, le seul moyen envisagé, c'était de l'envoyer consulter. Elle n'aurait jamais accepté, ma mère, elle l'aimait trop. Plus que moi peut-être. Quoi qu'il en soit, je restait passive de tout excès. Je dépérissais dans mon lit, attendant que l'orage ne se calme. « Joey, mon bébé ? Tu es là ? » Derrière la porte blanche et dénudée de ma porte, ma mère toquait timidement. J'avais peur de lui ouvrir. Peur de voir ses larmes, ses bleus, pire son sang, coulant le long de sa tempe, ses joues creuses, ses yeux vides. J'avais peur de voir la carcasse de ma mère. A chaque crise de violence de mon père, elle était comme un navire qui chavire. Elle reste là, son regard voilé par les larmes, à contempler son mari lui faire mal non pas de ses poings mais de ses mots plus mordant et violent que tout le reste. Je ne dis rien. Elle entra. Toujours la même apparence amaigrie et vidée de toute vie. « Est-ce que ça va ? » Je distinguais à peine ses lèvres bouger. Ce n'était qu'un souffle. « Ca va, maman. Je sais comment réagir maintenant. Alors ça va. » Je ne la regardais pas. Je me contentais d'aller d'avant en arrière, les jambes serrées tout contre ma poitrine, le souffle court. J'avais horreur de tout ce cinéma. La mère qui vient voir comment va son enfant alors qu'elle est défigurée. J'y voyais là une insulte. Dans mon esprit, la mère ne vient pas. Elle se soigne, se panse. Après elle monte. Là, elle venait s'exposer. Elle me répugnait. Elle s'approcha de mon lit, s'y assit et enroula son bras autour de mon corps. Mes poils se hérissaient. Je voulais qu'elle reste loin. Elle ne l'entendait pas de cette façon. Sa main caressa mes cheveux, éloignant les mèches qui tombaient sur mon visage humide de larmes. « Ne me mens pas Jo. Je sais que ce n'est pas facile comme position. » Je continuais à fixer le vide, la maudissant intérieurement de penser tout connaitre de moi. Est-ce qu'elle savait que hier, j'avais eu ma première fois avec Phoenix ? Est-ce qu'elle savait que j'avais déjà bu comme un trou à quatre reprises ? Est-ce qu'elle savait que j'avais déjà fumé six joint en tout et pour tout ? Non. Elle ne savait pas tout ça parce que j'avais instauré cette limité. Une forme de protection pour mieux sortir de cet enfer quotidien. On voit Miami comme la ville fêtarde et riche ? Oh bien sûr les soirées vont bon train mais il n'y a pas que des familles qui roulent en mini cooper ou en ferrari. Il y a aussi des gens qui se contente d'une vieille marque européenne poussiéreuse.
Restant dans le silence, ne disant rien, ma mère abandonna et sortit. Je sentais de nouveau l'air entrer dans mes poumons. Je culpabilisais d'en vouloir autant à ma mère, mais je n'arrivais pas à comprendre son attitude. J'aurais aimé pourtant. Ca m'aurait surement éviter de faire ce que j'avais prévu ce jour-là. Partir. J'avais déjà tout prévu ! A peine ma mère avait-elle fermé la porte que je sortais de sous mon lit la valise préparée la veille. J'étais aussi parée que les barbie tout juste achetées ! Je sautais dans des vieilles bottes type santiags et ouvrais la fenêtre. L'air océanique agita mes cheveux, apportant avec elle cet enivrant parfum de liberté. J'étais plus enthousiaste, désormais. Prête. Je me laissais glisser sur le toit et sautais, atterrissant sur mes pieds. Je partis en courant, sans jamais me retourner. C'était ça le but, ne jamais se retourner, ne jamais penser ni à mon père, ni à ma mère, encore moins à l'état dans lequel je les laissais. Courir me faisait du bien. Ca m’ôtait le poids de la culpabilité et aussi du chagrin. Je savais que d'ici quelques mois, ce serait dur, qu'ils me manqueraient. Mais j'avais dix-huit ans. Je savais pertinemment m'occuper de moi. Je pouvais m'en sortir. Je m'en sortirais. La voiture était là. J'avais économisé pendant deux ans pour pouvoir me la payer. C'était comme mon bébé. Je grimpais dedans, clé sur le contact, je passais la première et démarrais en trombe, faisant crisser les pneu sur le macadam. Enfin, le cauchemar prenait fin !

Centimètres par centimètre, je m'aventurais plus loin, dans la ruelle. J'avais les mains moites, le coeur palpitant et les jambes tremblantes.